samedi 10 mars 2012

Ruelle


            Par une belle matinée de printemps, le vent soufflait comme jamais il n'avait soufflé laissant croire qu'un évènement cataclysmique était en préparation tout la haut, dans les hautes sphères, à l'insu de tous mais bien réel et dirigé en particulier vers les pauvres habitants de ce caillou de l'espace qu'est notre chère planète. Enfin c'est ce que se plaisait à croire Hugh pendant qu'il cheminait en direction de sa faculté comme il le faisait tout les jours. Le destin nous joue souvent de drôles de tours se disait- il en poursuivant le fil de ses pensées tortueuses. Il ressassait sans cesse les coups bas que ce dernier lui infligeait à longueur de journée et commençait presque à se sentir maudit quoique il n'était pas sur de savoir s'il n'aurait pas mieux valu, cela aurait été beaucoup plus simple pensa-t -il, au moins il aurait su ce qui n'allait pas. Un couple le dépassa au pas de course dans un footing endiablé, à la poursuite du vent devant eux. "On a pas idée de suer ainsi le matin" fut sa seule remarque, puis un flash traversa son esprit et un souvenir douloureux que son corps aurait bien voulu exorciser à jamais rejailli à l'instant dans sa mémoire, Il s'agissait du film qu'il avait suivi la veille, Nara, il se demandait comment on pouvait avoir le courage et la patience de suivre ce genre de film sans avoir envie de se jeter par la fenêtre et se remémorait sa pensée habituelle dans ces cas là : " Il y a suffisamment de cons sur terre pour financer des conneries et encore plus pour aller les acheter". Il souri intérieurement et voulu dès après se concentrer sur sa route en se disant qu'il avait maintenant des soucis bien plus importants que ces stupides films.

Il leva les yeux et chercha le couple du regard une dernière fois, mais ne les trouvait plus. Cela lui paru étrange mais bon, ils avaient bien pu tourner quelque part se disait-il pour se rassurer. L'inconvénient c'est que quand vous énoncez une hypothèse que vous ne croyez pas vous même, la plupart du temps le cerveau vous  rappelle à l'ordre tant que vous n'avez pas trouver la raison effective de ce trouble, et il vous relance tout de suite. En effet son hypothèse ne tenait pas étant donné qu'il y avait une bon demi kilomètre devant lui, qu'il n'avait baissé les yeux que quelques secondes, aucune anfractuosité, rien... à moins qu'ils ne se soient envolés il n'y avait nulle part où ils aient pu se cacher. Il lança tout de même un regard dubitatif vers le ciel "juste  au cas où" plus pour s'octroyer un bon bol d'air afin d'oublier la contraction de son estomac que pour autre chose. Perdu dans son inspection il ne remarqua pas tout de suite que les chants des oiseaux avait disparu, non, en fait toute trace de vie animale avait également cessé de rendre des comptes à ses sens. Il n'était pas fan des phrases comme les oiseaux chantent, le ciel est bleu et autre niaiseries habituelles au commun des mortels sans soucis, mais ne pas les entendre, combiné au mystère sur lequel il travaillait rendait l'atmosphère lourde et inquiétante. C'est à ce moment la qu'il les vit... sur l'instant il fût soulagé. Il exhala même un soupir, mais il d"chanta bien vite. Quelque chose clochait. ils semblaient être apparu de nulle part et de plus ... semblaient immobiles.

Ils étaient bien complètement immobiles, figés comme des statues de bronze à une exposition gréco-romaine pour les jeux olympiques. Il les rattrapa assez vite et leur tourna autour, passa ses mains devant leurs yeux mais rien, pas une réaction. Il se prit même d'envie à donner un coup de pied dans l'un d'entre eux comportement puéril qui ressort toujours face à une situation incongrue mais se retint in extremis. Il était plongé dans ses pensées quand tout d'un coup un bruit attira son attention  derrière lui... Il se retourna vivement et c'est alors qu'il eut probablement le plus grand choc de sa vie... il se vit lui même, là tout en bas de la route avec son sac, figé dans une pose qui lui était familière vu qu'il y a peu d'instant il y était encore. Une sueur froide perla le long de son échine dorsale... c'était lui mais en même temps ce n'était plus lui... quelque chose changeait sur "son corps" au plutôt cette statue ou alors... peu importe il sentais qu'il allait s'embrouiller encore plus qu'il ne l'était déjà, enfin si cela était possible. 

Son cerveau avait déjà atteint sa limite, les pensées et idées pour expliquer le phénomène jaillissaient en pèle mêle et cognait littérale ment contre sa paroi intra crânienne. Et chose encore plus bizarre, il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus qu'est ce qui semblait différent sur son corps ? Il avait abandonné le mystère du couple qu'il avait déjà oublié, les animaux, probablement figés eux aussi, et maintenant ça ... comment l'expliquer ? Sa première idée à priori cohérente lui fit penser à une expérience de sortie du corps, mais il n'était pas en méditation avant et soyons sérieux il avait beaucoup de mal à y croire, quoique il était toujours ouvert à ce genre de théories. L'autre éventualité pouvant entraîner une sortie du corps selon les rumeurs ne l'enchantait pas, l'imminence de la mort... mais cela ne collait pas se rassura -t-il vu qu'il faut être dans le coma ou un état proche de la mort pour y accéder et bien vite il chassa cette pensée importune de sa tête et la relégua aux oubliettes et de toute façon cela n'expliquerait pas ce sentiment indescriptible de jamais vu ... Tout les jour il se voyait dans une glace lorsqu'il finissait de se doucher mais jamais il n'avait eu ce sentiment. Quand il se regardait dans le miroir c'était lui tout simplement mais maintenant c'était différent... Il ne reconnaissait pas ce visage mais savait que c'était le sien ni d'ailleurs toutes les choses qu'il avait sur lui mais qu'il savait lui appartenir.

Il était désormais à moins de 5 cm de sa "statue" et la touchait presque du doigt Quand une main se posa sur son épaule... Il sursauta et se retourna lentement dans un geste qui n'était pas sans lui rappeler les films d'horreurs que son voisin aimait à suivre et à raconter, et finissant sa rotation, il vit que c'était l'homme du couple qui le regardait désormais avec un sourire conciliant..." Ouf vous m'avez fait peur, vous pouvez m'expliquer ce qui se passe ici ? Je marchais et ..." il s'arrêta de parler aussi net, les derniers mots de sa phrase venant d'être atomisés à la source avant qu'ils n'est pris leur envol. La femme venait de les rejoindre avec le même sourire conciliant que sa moitié mais la tête à 180 ° et marchant à reculons. Il sentait la peur remonter en vitesse,  toute une peur qu'il ne s'était jamais douter de posséder et se dégagea brusquement. Se faisant il recula en pensant trop tardivement qu'il aurait pu  percuter sa statue et que si son hypothèse était juste il s'agissait de son corps physique... Il espérait néanmoins naïvement que la toucher le ferait " rentrer" à nouveau dans son enveloppe charnelle... mais rien... rien ne se  produisit... pas une étincelle, un tremblement, rien, rien de rien... de plus en plus angoissé il chercha à l'endroit où aurait du se situer la statue c'est à dire devant lui... et excepté le couple et leur sourire qui n'avait plus rien de conciliant mais encore plus effrayant puisqu'il déformait complètement leur visage, fendant ce dernier d'une oreille à l'autre non pas au figuré mais bel et bien au sens propre découvrant ainsi par la même occasion des dents blanches d'une bonne dizaines de centimètres disposés en dents de scie...

Son corps ? Où était son corps ? Et il le vit ! Là derrière le couple ... Son corps marchait tout seul et poursuivait la route qu'il suivait tout les matins ... mais entre lui et sa propriété il y'avait le couple qu'une mutation avait rendu encore plus effrayant si cela était possible avec deux griffes ou crochets peu importe qui semblait sortir de la peau à l'endroit où aurait du se trouver des articulations la peau semblant tomber comme s'ils enlevaient des vêtements... Il ne chercha même pas à comprendre comme cela se faisait qu'il aient échanger de place sans qu'il ne s'en rende compte vu qu'il y a un instant la scène était complètement différente, mais il avait des préoccupations bien plus pressantes. Dans une tentative désespérée et dans ce qu'il ressemblait le plus à une brusque poussée d'adrénaline il bouscula ces monstres, puisque s'en était et couru à la poursuite de son corps... Vite, encore plus vite se répétait- il. mais après avoir dépassé l'ex couple d'humain  devenu désormais des êtres tout droits sortis d'un cauchemar, il se rendit compte qu'il n'avançait pas d'un cm son corps semblait toujours aussi loin ... s'éloignant lentement mais sûrement...

Quelque chose lui saisit la jambe. C'était froid et visqueux, et l'inévitable se produit, il tomba la tête la première... il se retourna aussitôt sur le dos et lança un coup de pied bien senti dans la masse en face de lui, dans laquelle ce dernier s'enfonça de tout son long... en voulant essayer une nouvelle tentative il replia sa jambe dans un élan pour un nouveau coup mais il n'y avait plus rien au bout de son genou, là où aurait dû se trouver son tibia il hurla non pas de douleur mais d’une peur irradiante tout en se retournant en se tirant sur le sol à la force de ses bras... une autre tentacule... encore une autre, son coeur n'était plus qu'une machine emballée allant à plus de 100 à l'heure.  Ses bras commençait à s'effilocher même s'il ne sentait aucune douleur, d'ailleurs il n'y avait pas de sang mais le seul sentiment de se sentir “partir”était effrayant en lui-même ... encore une autre tentacule... toujours ce contact froid et horrible. Finalement ses avants bras s'arrachèrent et restèrent accrochés au sol dans la dernière pose où il les avait laissé le transformant en une sorte de statue de Milo à qui au lieu d’enlever les bras on avait retiré le corps.
Il commença se sentir tiré vers l'arrière... il ne voulait même pas savoir ce qu'il y avait... il ne le savait que trop bien... donc il regarda une dernière fois son corps... ce corps qu'il avait occupé depuis 20 ans déjà, ce corps qui L’avait supporté dans toutes ses misères, ce corps... qui s'effilochait à son tour et disparaissait en même temps que lui... voire plus vite, déjà il ne restait plus que la tête, flottant dans les airs toute seule... Une douleur subite lui déchira le cortex lui arrachant un dernier cri d'horreur inaudible en se voyant et se sentant disparaître tandis que la chose l'enveloppait désormais complètement...

            Ca faisait 30 mn qu'ils couraient ainsi et Ema trouvait que s'en était 100 fois... Elle ralentit progressivement mais tint bon jusqu'à la fin de l'allée... puis s'assit à même le sol rejointe quelques instant plus tard par son compagnon qui était au téléphone. Il fit du sur place tandis qu'il finissait sa conversation. Comme il semblait prêt à reprendre elle décida d'engager une tentative désespérée pour retarder l'inévitable retour à la torture de ses pauvres muscles, engager une conversation même  la limite du futile...

- tu sais chéri, le garçon de tout à l'heure était assez mignon
- quel garçon ?
- tu sais bien, celui qui était derrière nous

L'homme se retourna mais ne vit derrière eux que la longue allée vide qu'il venait de traverser au pas de course mais pas âme qui vive.

- je crois que t'a tellement couru aujourd'hui que t'en a des illusions dit-il avec un sourire moqueur
- mais je t'ass...
- et il est où maintenant ?
- ben ...
- tu vois ?
- bof peut-être, après tout j’ai dû me faire des idées dit-elle en se disant que décidément elle devait avoir quelques fantasmes refoulés qu’elle s’ignorait elle-même.
Voyant qu'il n'y avait plus de temps à gagner et qu'elle avait grappillé toute les secondes qu'elle pouvait, elle se leva de mauvaise grâce et lança un " alors tu viens ?" moqueur afin de donner le change tandis qu'elle poursuivait le parcours de jogging. Son compagnon la regarda partir quelques instants, jeta un dernier regard dans la ruelle désespérément vide, puis tourna les talons et parti à son tour à la poursuite de sa partenaire pensant " Ah les femmes…".